L’ayahuasca quésaco ?

Menacées depuis plusieurs décennies, les tribus amazoniennes luttent au quotidien pour leur survie. Ces peuples autochtones vivent en harmonie avec la nature et pratiquent un chamanisme traditionnel où s’inscrit la consommation d’ayahuasca. Cette plante aux propriétés si particulières est au cœur d’un tourisme chamanique et continue à susciter convoitises et spéculations. Une collaboration entre scientifiques et populations autochtones est-elle possible ? Et quels pourraient être les bénéfices réciproques ?

Les croyances spirituelles des premiers hommes

Les premiers hommes vivaient en harmonie totale avec la nature, ou plutôt avec les esprits de la nature, cela était indispensable à leur survie. Des traces possibles de croyances animistes ont été retrouvées, pouvant laisser à penser que les hommes du paléolithique attribuaient une âme aux choses et aux êtres vivants. Peut-on se hasarder à penser que le chamanisme, proche des croyances animistes de nos ancêtres de la préhistoire, était la pratique la plus répandue à travers le monde avant l’apparition des différentes religions ?

Selon différentes sources non officielles, le chamanisme primitif remonterait à environ 40 000 ans. Il serait à l’origine des cinq grandes voies d’Éveil : chamanisme, hindouisme, bouddhisme, christianisme et taoïsme. Cette question reste en débat au sein de la communauté scientifique, même si l’idée d’un chamanisme préhistorique n’est pas exclue, comme l’indique Sophie de Beaune dans son ouvrage Chamanisme et Préhistoire, un feuilleton à épisodes, mais sa présence au paléolithique reste à prouver, ce qui est, d’après elle, quasiment impossible.

Le chamanisme en question

Le chamanisme est avant tout une manière de communiquer et communier avec la nature et les Esprits, une manière de vivre en accord avec la nature et tous ses éléments. Le chamane, « celui qui sait », est l’intermédiaire entre son peuple et le monde de l’invisible. C’est également un guérisseur, capable de détecter l’origine des maladies, entrer en communication avec les esprits et traiter le mal.

On retrouve des traces du chamanisme partout dans le monde, on rencontre des formes de chamanisme chez tous les peuples premiers, les Mongols, les Turcs mais aussi au Népal, en Chine, en Corée, au Japon, en Scandinavie, en Afrique, en Australie, chez les Premières Nations d’Amérique du Nord et chez celles d’Amérique latine. C’est également une pratique spirituelle permettant de communier avec les esprits de la nature et le vivant en général, la connexion au monde de l’invisible et la guérison du corps et de l’esprit par des rituels spécifiques, guidés par le chamane. Les savoirs traditionnels et les pratiques ancestrales ont été transmises à travers les siècles et survivent chez quelques peuples autochtones, notamment en Amérique du Sud.

Dans son livre Réveillez le chamane qui est en vous, Arnaud Riou définit le chamanisme comme suit : « Le chamanisme n’est pas une doctrine ni une religion ni même une science, c’est un parcours initiatique qui relie l’homme à son environnement. A la différence des religions, dans le chamanisme, il n’y a pas d’église, de doctrine, de pape ou toute autre hiérarchie. Le chamanisme vous offre l’immensité des forêts comme chapelle et la voûte étoilée comme cathédrale. » Notons que, bien avant l’arrivée du catholicisme, nous avions en Europe des druides ainsi qu’une culture de plusieurs siècles et une grande richesse spirituelle.

La médecine de l’ayahuesca

Les sociétés d’indigènes du bassin Amazonien utilisent depuis des milliers d’années un breuvage à base de plantes nommé ayahuasca. Ses feuilles sont riches en DMT, diméthyltryptamine, une molécule organique psychotrope. Son utilisation entraîne une altération de l’état de conscience, traditionnellement utilisée par les chamanes à des fins curatives. Breuvage à base d’écorces de liane utilisé par les tribus amérindiennes lors de cérémonies ou de rituels de guérison sacrés mêlant chant, danse et musique, il permet de plonger dans un état de conscience modifiée et de se relier au monde des esprits. Lors du rituel, le corps se purge avec diarrhées et vomissements.

« Le Brésil est le seul pays à avoir autorisé l’utilisation de cette boisson à des fins religieuses (…) Au Pérou, ce breuvage est également utilisé dans des cures chamaniques, et de plus en plus dans des séances ouvertes aux étrangers. Un tourisme spécifique s’y est même développé, certains voyageurs venant spécialement pour l’absorption de l’ayahuasca (…) En principe, bains de plantes, purges et régimes draconiens doivent précéder la cérémonie qui se poursuit parfois par un isolement total d’une semaine à un mois ». Extrait de Stupéfiante Amazonie, collection Grand Patrimoine de Loire Atlantique. On l’a bien compris, la prise d’ayahuasca doit être encadrée par un contexte traditionnel.

« Alors que les paradis artificiels des drogues récréatives attirent les jeunes et moins jeunes qui ne vivent pas assez de joie au quotidien, ces plantes (dont l’ayahuasca fait partie) sont utilisées depuis des millénaires à des fins médicales ou rituelles par les chamanes. Elles ne sont pas consommées pour le plaisir mais en vue d’une expansion de conscience ou d’une guérison ». Extrait du livre Les chemins de la joie d’Isabelle Filliozat.

Interdite en Europe, classée comme stupéfiant, cette plante aux propriétés si particulières ne cesse de susciter l’intérêt des scientifiques. En se basant sur les résultats de la médecine traditionnelle, des essais cliniques ont été menés afin d’étudier la possibilité d’utiliser l’ayahuasca dans le traitement de certaines pathologies. Arriver à restreindre ses effets purgatoires et pouvoir détourner son utilisation à d’autres fins thérapeutiques serait une opportunité fort lucrative pour les laboratoires pharmaceutiques qui pourraient être tentés d’industrialiser sa production, dévastant au passage les territoires des peuples indigènes…

Dans Ma vie de vampire blanc, Jérémy Narby, anthropologue ayant vécu deux ans auprès d’une tribu amazonienne, évoque les « perspectives amazoniennes sur l’émergence du tourisme chamanique ». Le concept de « vampire blanc » définit de façon imagée (mais ô combien parlante) le comportement des Occidentaux en Amazonie, extrayant les ressources humaines et naturelles depuis l’arrivée des premiers conquistadors au 16e siècle.

Selon l’anthropologue, les Occidentaux ont une vision idéalisée des chamanes, tantôt vus comme des gourous, des maîtres spirituels ou encore de véritables psychothérapeutes, occultant le côté obscur, appelé sorcellerie par les autochtones : « Il est frappant de constater que lorsque l’ayahuasca est importé dans les pays occidentaux, il n’y a aucune mention de cette dimension centrale des pratiques autochtones : tout semble n’être que lumière et guérison. » Selon lui, les anciens ne voient aucune objection au fait que les occidentaux viennent boire l’ayahuasca selon un rituel chamanique, en revanche il est difficile pour eux de concevoir l’extraction de la plante pour la consommer à d’autres endroits… « Ils ont déjà volé tout ce que nous avions. C’est le comble qu’ils veuillent aussi notre force spirituelle ». Et précise que de nombreux scientifiques continuent à réduire le breuvage appelé « ayahuasca » à la molécule hallucinogène du DMT qu’il contient parfois, et le présentent comme étant une sorte de « DMT buvable » ce qui est considérablement restrictif, tant cette plante est constituée d’un mélange complexe de substances chimiques qui n’ont pas encore été étudiées pleinement. Au-delà de ses effets hallucinogènes, ses véritables objectifs restent la guérison, la protection et la prévention de toutes sortes de maladies. Et de poser une question essentielle : une véritable collaboration entre les scientifiques et les populations autochtones est-elle possible ?

Dans ce contexte et après plus de vingt ans de négociation, l’OMPI (Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle) a souhaité conclure un traité afin de protéger les connaissances des peuples autochtones contre toute exploitation, imposer une plus grande transparence dans les brevets et mettre fin à la biopiraterie.

Le traité du 24 mai 2024 sur la propriété intellectuelle relative aux ressources génétiques et aux savoirs traditionnels associés

« Les ressources génétiques sont présentes, par exemple, dans les plantes médicinales, les cultures agricoles et les races animales.  Si elles ne peuvent pas être directement protégées en tant qu’actifs de propriété intellectuelle, les inventions mises au point à partir de ces ressources peuvent être protégées, le plus souvent par un brevet. Certaines de ces ressources ont également un lien avec des savoirs traditionnels en raison de leur utilisation et de leur conservation par les peuples autochtones et les communautés locales, souvent de génération en génération. Ces savoirs sont parfois utilisés dans la recherche scientifique et peuvent donc contribuer à la mise au point d’une invention protégée. »

Ainsi, les États membres de l’OMPI ont approuvé le 24 mai dernier à Genève un nouveau traité décisif sur la propriété intellectuelle relative aux ressources génétiques et aux savoirs traditionnels associés. Il s’agit du premier traité de l’OMPI à inclure des dispositions particulières pour les peuples autochtones et les communautés locales. L’OMPI est l’institution des Nations Unies au service des innovateurs et des créateurs du monde entier, qui veille à ce que leurs idées parviennent en toute sécurité sur le marché et améliorent les conditions de vie de tous et partout.

Le traité prévoit qu’une invention, lorsqu’elle est fondée sur des ressources génétiques ou des savoirs traditionnels associés, soit protégée par chaque partie contractante en exigeant du déposant du brevet qu’il divulgue le pays d’origine ou la source des ressources, le peuple autochtone ou la communauté locale, le cas échéant, qui a fourni ces savoirs traditionnels.

Est-ce une victoire hypocrite ?

L’objectif du traité est de lutter contre la biopiraterie en s’assurant qu’une invention est bien nouvelle et que les pays et communautés locales concernés ont donné leur accord sur l’utilisation de leurs ressources génétiques, telles que des espèces végétales, et de leurs savoirs traditionnels. La protection de ces ressources et des savoirs traditionnels des communautés indigènes n’inclut toutefois pas le partage des bénéfices. Actuellement, les peuples autochtones d’Amazonie luttent pour leur survie. Ils sont menacés par les industries extractives, la contamination, la déforestation à grande échelle et l’empiétement territorial. Une réciprocité serait la bienvenue.

Pour aller plus loin :
https://www.wipo.int/pressroom/fr/articles/2024/article_0007.html
https://www.tdg.ch/geneve-internationale-le-chef-huni-kui-defend-les-savoirs-traditionnels-a-lonu-910369023177

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