Les neuro-atypiques, rebelles dans l’âme ou avides de sens ?

Les personnes atteintes de troubles du spectre autistique (TSA, anciennement autistes Asperger) représentent 1 à 2% de la population. Souvent non diagnostiquée ou diagnostiquée tardivement, cette particularité, quand elle est méconnue ou mal interprétée, plonge les personnes concernées dans un profond désarroi. Ils traversent la vie en se demandant d’où viennent leurs différences et pourquoi ils n’arrivent pas à entretenir des liens sociaux dans la durée. Malgré leurs efforts à se conformer à ce qu’on attend d’eux, les relations avec leurs proches ou leurs collègues de travail sont souvent conflictuelles. Ces derniers interprètent leurs postures dues à leurs difficultés comme un manque d’intérêt, d’attention ou de sentiments. Le malaise s’installe et l’énergie déployée pour être ce qu’ils ne sont pas, finit par les épuiser totalement.

Les profils neuro-atypiques face à la crise sanitaire

Juillet 2021 – La politique sanitaire en France plonge un peu plus dans le chaos avec l’introduction du pass sanitaire. Des groupes de dissidents se forment et je commence à naviguer de l’un à l’autre, à participer à différentes actions, à côtoyer de multiples personnes et à créer du lien. Nous constatons rapidement que les profils dits « neuro-atypiques » sont représentés en nombre dans nos groupes de résistants. Des personnes possédant une structure mentale différente, ne supportant pas l’illogisme, capables de s’interroger mais surtout dotées de multiples talents et d’une créativité hors pair. Au gré de mes échanges avec l’une d’entre elles, je plonge au cœur d’une troublante réalité. Parmi les neuro-atypiques, un profil particulier se détache, celui des TSA (Troubles du spectre autistique), objet de mon article, qui représenterait 1 à 2 % des individus. Investigations au sein du neuro-atypisme et dans le quotidien de ces profils, en majorité non diagnostiqués, vivant avec la conscience plus ou moins assumée de leurs différences.

Les neuro-atypiques, des intelligences « troublées »

Les intelligences atypiques présentent une façon bien particulière de penser et d’envisager le monde. Elles sont très diverses et dépendent du profil de la personne et de la nature de son fonctionnement. Elles ont néanmoins un point commun et pas des moindres : elles questionnent jusqu’à avoir des réponses, jusqu’à comprendre la logique d’une déclaration, d’un ordre ou d’un concept !

Les HPI (Haut Potentiel Intellectuel) et les TSA (Troubles du Spectre Autistique) composent cette famille de personnalités qui ne laissent pas indifférents. Ils ont pour certains une capacité d’apprentissage et de mémorisation hors normes. Le TSA est dit SDI « Sans déficience intellectuelle » associée. Malheureusement, un certain nombre de « troubles » peuvent venir entraver l’épanouissement de ces belles capacités : troubles DYS (dyslexie, dysorthographie, dyscalculie) ou TDA (troubles de l’attention), troubles de l’anxiété ou dans la gestion des émotions, etc. L’apparition de ces troubles chez les enfants amènera la plupart du temps à une consultation puis à un diagnostic, qui interrogera inévitablement l’hérédité car on sait maintenant que le facteur génétique est prédominant pour ces particularités. Les troubles du spectre autistique, souvent associés d’un ou plusieurs autres troubles, sont divers et variés et parfois assortis de HPI. Difficile de faire rentrer l’un ou l’autre dans une grille d’évaluation tant les personnes concernées sont différentes. Quoiqu’il en soit, ces différentes formes d’intelligence devront développer de nombreuses stratégies afin de pouvoir s’intégrer dans notre société actuelle.

Les TSA (troubles du spectre autistique) : une troublante réalité

Se retrouver entourés de monde, de bruit, serrer la main, engager une conversation banale, réagir correctement à une annonce ou un évènement, faire face à un imprévu, autant de situations pénibles qu’ils peinent à assumer. Au quotidien, certains d’entre eux réussissent à porter un masque qui leur permet de faire semblant et de jouer la comédie sociale afin de s’intégrer en surface et d’entretenir de bonnes relations professionnelles et familiales. Mais faire semblant et être en décalage coûte cher en énergie et a un prix : fatigue psychologique et développement (ou majoration) de troubles anxieux. Et l’entourage neuro-typique n’est pas toujours prêt à entendre ce qu’ils ont à dire sur leurs particularités, ni à prendre au sérieux leurs besoins spécifiques. L’autisme fait peur car il renvoie en premier lieu aux formes les plus graves, qui seraient la conséquence directe d’une exposition à certains facteurs environnementaux.

« Leur cerveau ne fonctionne pas tout à fait comme celui des autres. L’autisme a longtemps été cantonné à la description de la forme la plus sévère qui constitue un handicap majeur.
Concernant le syndrome d’Asperger, appelé maintenant TSA, les statistiques montrent qu’une personne sur 59 est concernée. » expliquent des docteurs David Gourion et Séverine Leduc dans leur excellent ouvrage Éloge des intelligences atypiques, dédié aux TSA.

Se retrouver en groupe est souvent source d’anxiété. Ils préfèrent rester au calme chez eux. Mais ce n’est pas toujours un choix assumé car cela créé parfois un sentiment douloureux de solitude. Certains souffrent de cet isolement et aimeraient comprendre ce qui cloche chez eux.

En contrepartie de ces difficultés, ils ont parfois certaines facilités, classiquement une grande capacité à mémoriser et à apprendre rapidement ce qui les intéresse. Fins observateurs, ils repèrent le moindre détail et relèvent la moindre contradiction, interrogeant une réalité qu’ils ne comprennent pas. Ils développent des centres d’intérêts particuliers et très ciblés et ont la capacité de devenir de véritables experts en la matière.

Les « Aspergirls » ou le trouble du spectre autistique au féminin

Le journal Nexus de juillet-août 2024 a consacré un dossier complet aux Aspergirls. Son premier article intitulé Aspergirls, un autisme si discret donne le ton. Il évoque la méconnaissance du syndrome d’Asperger associée à l’invisibilité du trouble du spectre autistique chez les femmes, diagnostiqué en général plus tardivement que pour les garçons. Les femmes bénéficient entre autres d’une motivation sociale supérieure et de meilleures compétences communicationnelles qui facilitent le rôle de caméléon qu’elles s’assignent. Elles peuvent ainsi donner le change et passer inaperçues, bien entendu au prix de multiples efforts et stratégies d’adaptation. Néanmoins cette invisibilité peut se retourner contre elles, « les conduisant à affronter en toute inconscience des contextes toxiques incompatibles avec leurs besoins spécifiques et induisant des situations dramatiques », nous dit l’article. Malheureusement, la vulnérabilité des femmes TSA peuvent en faire des proies toutes indiquées pour les prédateurs sexuels et pervers narcissiques.

Passé l’étape du déni puis de la sidération, le diagnostic, même tardif, est un soulagement, il permet de comprendre les échecs et les difficultés passées, et de faire le deuil d’une « normalité »  qu’on sait inaccessible. Il permet de se pardonner les erreurs passées et d’adopter une toute autre grille de lecture. Reste à le divulguer à son entourage, ce qui n’est pas une mince affaire…

Vivre ensemble

L’enjeu est de réussir à vivre en harmonie avec ses semblables tout en étant porteur d’un handicap encore très méconnu et dont le nom fait peur. Trouver sa place au sein d’une société qui se veut inclusive (pour reprendre un terme à la mode) mais qui refuse d’être contredite. Entretenir des relations apaisées avec son entourage, sa famille, ses amis, ses collègues en leur expliquant que ses attitudes ou paroles parfois surprenantes ne sont pas « contre eux » mais seulement la manifestation d’un trouble anxieux dû à l’autisme. Apprendre à prendre sur soi et se retenir quand les mots, les paroles, les questions se bousculent. Développer des stratégies d’évitement pour les situations à haut risque.

Je suis allée voir récemment le film Différente qui raconte les pérégrinations d’une documentaliste se découvrant, au hasard d’une recherche pour un documentaire sur l’autisme, atteinte d’un trouble du spectre autistique. Il met en avant les difficultés rencontrées par l’héroïne dans ses interactions sociales et sa vie amoureuse. Ce film, très caricatural, présente l’avantage d’informer sur un sujet qui reste tabou et méconnu. Je reste tout de même réservée, il ne s’agirait pas d’en faire un phénomène de mode dans le but de développer des solutions médicamenteuses à tout-va. En parler dans les médias n’est pas toujours une bonne nouvelle, n’est-ce pas ?


Pour aller plus loin :
Eloge des intelligences atypiques, Dr David Gourion et Séverine Leduc, édition Odile Jacob.
Aspergirls, un autisme si discret, article paru dans le magazine Nexus de juillet-août 2024.

Crédit images : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:%22BrainChain%22_Willem_den_Broeder_2001_.png
Willem den BroederCC BY-SA 4.0, via Wikimedia Commons

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