« Nous sommes tous des experts de la Vie »
Il est possible de consulter articles de presse, photos et affiches, qui ont jalonné la bataille contre le projet de centrale nucléaire entre 1975 et 1981, sur le site de l’association. À travers ces documents, c’est l’esprit d’une époque et d’une épopée collective, émouvante et inspirante, que l’on retrouve.
Dès 1975, le CRIN (Comité Régional d’Information Nucléaire), qui vient de se constituer pour s’opposer à l’implantation de réacteurs en Bretagne, proclame : « Le nucléaire, dans la mesure où il comporte des risques irréversibles et où il est imposé de façon autoritaire, montre bien que les populations n’ont pas aujourd’hui le pouvoir de gérer leur vie.
Gérer sa vie, c’est ça la Politique !
La politique, c’est enlever dès maintenant le monopole des décisions qui nous appartiennent des mains des technocrates et des experts scientifiques et politiques.
Nous sommes tous des experts de la Vie ».
Las, les sirènes de la croissance, du prétendu progrès et du business n’épargnèrent pas les rivages bretons et le site de Plogoff fut retenu, avec l’aval de différentes autorités, y compris d’élus départementaux et régionaux. Les habitants, loin de capituler devant le sort qu’on leur réservait, vont alors s’engager dans un implacable bras-de-fer.
Les irréductibles du bout du monde
Barrages, distributions de tracts, réunions d’information, manifestations diverses se succédèrent pendant six longues années dans diverses communes du Cap-Sizun, Plogoff étant le foyer de cette contestation. Des initiatives plus originales émergèrent également : randonnée-tractage à vélo, constitution d’un groupement foncier agricole et implantation d’une bergerie puis plantation d’arbres sur le lieu de construction projeté, création d’une radio libre, etc.
Les articles et les clichés publiés dans la presse locale traduisent cet élan de contestation collective, joyeuse et résolue, et d’éducation populaire. À l’été 1975, une « fête anti-nucléaire » réunit environ 5000 personnes sur la grande plage locale (il y en aura 100 000 au même endroit au printemps 1980 !). Témoin de cette journée, le journaliste est manifestement emporté par cette « assemblée de gens heureux », où « on assiste à des retrouvailles, des rencontres, des sourires ». Non sans poésie, il rapporte : « Il y a aussi des enfants partout. Un enfant qui, dans le soleil, s’interpose entre vous et la mer en raconte assez sans rien dire ».
Les mines ne restèrent pas toujours souriantes au long de cette âpre bataille. Sur les photographies prises lors des nombreuses réunions d’information, les visages apparaissent concentrés, inquiets, signe de la tension qui régnait. Et puis, la confrontation arriva, avec les premières opérations d’EDF sur le terrain et surtout l’annonce (en catimini) de l’enquête publique, qui constitua un point de non-retour. Les 3,5 tonnes du dossier, réceptionnés en mairie un matin de janvier 1980, furent brûlés l’après-midi même avec l’onction des maires concernés ! L’enquête se déroula pourtant, dans un climat délétère. Sur les visages s’affichaient désormais la détermination et la colère. Des femmes de Plogoff en donnèrent le plus bel exemple (et la colère peut être belle!), en faisant face sans relâche aux gendarmes mobiles. Il y eut aussi ceux, animés par la même saine colère, qui jetèrent « des pierres contre des fusils » pour reprendre le titre d’un documentaire sur Plogoff tourné sur le vif !
Au bout de l’espoir et du combat, la victoire
Dans la foulée de son élection en 1981, François Mitterrand annonça, conformément à son engagement de campagne, l’abandon du projet de centrale nucléaire. À l’issue d’un combat de longue haleine, les vaillants résistants du Cap Sizun et d’ailleurs tenaient leur victoire. Elle était celle des « experts de la Vie » sur les technocrates !
Elle constituait aussi l’aboutissement d’un épisode très particulier, que l’un des acteurs du mouvement, le conteur Jean Kergrist, décrit en ces termes : « la démocratie était en jeu dans ce qui se passait à Plogoff ; pas simplement le fait de mettre une centrale ou de ne pas en mettre. C’était un moment où l’art, la vie, la société et la politique, tout était mélangé » (cf. ses propos dans le documentaire ci-dessous).
Cette issue victorieuse donna bien évidemment lieu à de nombreuses scènes de liesse, empreintes de fierté. Cette même année, le groupe Tri Yann sortit le titre Kan ar kann (en français le « chant du combat ») en hommage à cette belle révolte. Il s’y retrouve l’immense énergie et l’opiniâtreté face à l’adversité de tous ceux qui se sont alors élevés, ensemble, pour sauvegarder leur terre et leur dignité. Ponctué par le refrain puissant et entêtant :
Tan ! Tan ! Dir ! Oh ! Dir !
Tan ! Tan ! Dir ! ha tan !
Tann ! Tann !
Tir ha tonn ! Tonn ! Tann !
Tir ha tir ha tann !
(Feu ! feu ! acier ! oh ! Acier !
Feu ! feu ! acier ! et feu !
feu ! feu !
O chêne! chêne! Terre!
O flots ! O terre !),
le chant clame :
Gwall war Veg ar Raz
Ha brud braz
(La fête à la pointe du Raz
et une grande fierté)
Bretoned touzet
a zo bet
(Les bretons ont été
grugés)
Dalc’h penn te Breton
a galon
(Tiens tête, toi, Breton
de coeur)
Et la suite, en français uniquement :
Mieux vaut nouvelle colère
que la honte
Des soldats de verre et d’acier
de verre et d’acier
Combats pour la liberté
ta liberté
Souffle de colère et tourbillon sur Plogoff
Souffle de colère et tourbillon
Fumée et gaz
pour vous paysans.
C’est le sang des bretons qui coule
Le sang des bretons
Rassemblement à la grand-ville
à Quimper
Rassemblement au village
Casse-leur la tête le ventre
Casse-leur le ventre
Cent mille sont rassemblés
Cent mille en colère
Cent mille tous sur la Pointe du Van
Chant et plainte et combat
Chant de victoire et danse
à toi soleil
Chant d’espoir et de combat
Chant et combat
Que l’arc-en-ciel brille
sur leur front.
(à suivre)