Plogoff : ondes de joie, ode à la vie (2/3)

Comme nous l’avons vu, Plogoff et sa population ont fort heureusement échappé à la construction d’une centrale nucléaire. Chacun est libre aujourd’hui d’y goûter le fruit défendu par ceux qui se mobilisèrent dans ce bout du monde il y a une cinquantaine d’années : une nature impressionnante, à la congruence du ciel, de la terre et de l’océan. Oublions donc l’atome et les ondes nucléaires, et profitons pleinement des vibrations joyeuses et de l’énergie offertes par cette nature !

Reconnaissance

Plogoff est une destination qui se mérite. Pas question d’opter pour la voiture pour découvrir les lieux, la marche à pied s’impose. Quant à l’itinéraire, je choisis d’éviter le village même, qui est tout en longueur, à deux kilomètres environ de la côte. Il se compose d’une succession de hameaux, plus ou moins importants, qu’on dirait aspirés vers la Pointe du Raz et le large, mais néanmoins obstinément agrippés dans le granit local.

J’en observerai simplement quelques toits depuis le sentier côtier (il s’agit ici d’une portion bien pentue du célèbre GR 34 qui enserre l’Argoat et l’Armor tout ensemble). Je décide de l’emprunter depuis l’anse du Loch jusqu’au site de Feunteun Aod (la fontaine de la grève), où devait être construite la centrale dans les années 1980. Le temps radieux est comme une invite. Je randonnerai seul, rencontrant quelques autres marcheurs en direction de mon but qui se voudrait une forme, naïve, d’hommage. Et le chemin, qui importe tout autant que le but, sera, dans tous les sens du terme, une reconnaissance.

L’océan, présence vivante

Le sentier pierreux et escarpé est un balcon sur l’océan. En contrebas, celui-ci s’étend et s’étale dans toute son immensité. La présence de l’océan captive, sa pulsation m’accompagne, le flux et le reflux des flots fait comme un écho au rythme cardiaque qui augmente au fil des efforts.

L’océan happe les sens. Il est d’un joli bleu en ce jour très ensoleillé, d’un bleu qui scintille jusqu’à l’horizon. Il dévoile aussi des eaux turquoises ennoyant les rochers. Lorsque le sentier s’approche du rivage, les odeurs marines enflent. Les vagues, légères, viennent s’échouer sur les rochers, les blocs, les galets. Avec les oiseaux, plus nombreux autour de Pors Loubous (le bien nommé port aux oiseaux), elles composent tout le paysage sonore. Tous ces éléments, baignés de calme et d’une chaleur réconfortante, pénètrent et le corps et l’âme.

Ce paysage coloré et sensoriel se retrouve dans les vers de José Maria de Heredia, directement inspiré par Plogoff dont il évoque un hameau dans son court poème Armor (1893):

« Et je vis, me dressant sur la bruyère rose,
 L’Océan qui, splendide et monstrueux, arrose
 Du sel vert de ses eaux les caps de granit noir ;
 Et mon cœur savoura, devant l’horizon vide
 Que reculait vers l’Ouest l’ombre immense du soir,
 L’ivresse de l’espace et du vent intrépide ».

D’autres fois, la pluie et les bourrasques recomposent le tableau à leur manière. C’est que cet environnement, façonné par l’océan et l’érosion, entre en harmonie avec les conditions, quelles qu’elles soient ou aient été. Aujourd’hui, l’union de l’océan et de la roche ressemble à de tendres épousailles, baisers et caresses, mais bien souvent les assauts du premier sont tumultueux et son étreinte terrible. Le granit n’y résiste qu’à grand peine, comme en témoignent failles et anfractuosités, et il les endure comme les gens d’ici, les coups durs qui tournent parfois au malheur.

Mais sur cela nous reviendrons, car je découvre à présent le site de Feunteun Aod, un abri de granit mentionné sur les cartes marines dès le Moyen-âge en raison de sa source d’eau douce jaillissant de la falaise. De nombreux navires marchands pratiquant le cabotage le long des côtes atlantiques venaient s’y ravitailler avant d’affronter le redouté raz de Sein.

La côte à Feunteun-Aod, © Fab5669 – https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Plogoff_-_Feunteun-Aod_16.jpg

La beauté grandiose de Feunteun Aod

Dans le petit port en contrebas, qui abrite quelques modestes embarcations, un canot avec deux pêcheurs à bord s’approche lentement du ponton. Lorsque je le rejoins, les hommes y débarquent leur prise en silence, une caisse contenant trois ou quatre poissons, rien de plus. La joie se lit sur leur visage comme rehaussé par leur sortie ensoleillée et l’air iodé.

Au-delà se devine l’imposante pointe rocheuse que l’on rallie en contournant l’anse que forme le port. L’ensemble dessine, comme l’indiquait le guide consulté en prévision de cette escapade, « un cadre grandiose et sauvage fait de falaises de granit abruptes entaillées de grottes et illuminées à leur sommet à la belle saison par l’or des genêts et la pourpre des bruyères ».

Le lieu est magnifique en effet, préservé désormais, calme, comme offert à l’océan qui le baigne, et au ciel. Ce don de la nature à nos sens, il m’est pourtant difficile d’en jouir d’emblée. Que des esprits dérangés, une société malade, aient pu seulement envisager, concevoir, projeter sans vergogne aucune, de ruiner à tout jamais une telle beauté, quasi sacrée, ne peut que laisser songeur.

Mais des femmes et des hommes résolus et courageux ont œuvré pour la protéger et contrecarrer le ravage organisé. La beauté de l’humanité n’est pas moins émouvante que celles de la nature, d’autant plus lorsqu’elles se rejoignent. Elles apportent toutes deux, si l’on veut y être sensible, une énergie, une harmonie et un sentiment de gratitude rares. Sur ce chemin de (re)connaissance, l’éblouissement demeurera au retour, le long de cette côte découpée.

Je ne m’en écarterai que pour observer, au-dessus de Feunteun Aod, une sorte de petit menhir ; il s’agit en fait d’une stèle, apposée là, évoquant une page de l’histoire de Plogoff. De celle-ci et d’autres récits, nous reparlerons bientôt.

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